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https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/09/07/mort-de-chester-williams-les-demons-de-l-afrique-du-sud-championne-du-monde_5507782_3242.html
Sujet tabou
Quatre champions du monde disparus sur 29, à 50 ans ou moins – ainsi que l’entraîneur Kitch Christie, mort à 58 ans d’une leucémie. Il faut citer aussi Tinus Linee, neuf sélections dans les années 1990, victime de la maladie de Charcot en 2014 ; Andre Venter, l’un des meilleurs joueurs du monde à la fin des années 1990, est en fauteuil roulant depuis 2006, victime d’une maladie rare, la myélite transverse.
C’est une anomalie statistique avec laquelle se débat l’Afrique du Sud depuis plusieurs années. Un sujet tabou, aussi : la presse locale, samedi matin, évoque très peu le destin tragique de cette équipe qui incarna la fierté d’une nation un an après l’élection de Nelson Mandela.
« C’est en effet statistiquement surprenant, disait au Monde il y a huit ans Ross Tucker, spécialiste de médecine sportive à l’université du Cap et spécialiste de rugby. J’ai regardé dans la littérature médicale, mais je n’ai rien trouvé de probant en lien avec l’absorption de substances interdites. Les causes de ces maladies sont multiples, on ne peut donc que spéculer. »
Médication poussée
Les spéculations portent essentiellement sur la médication d’une équipe qui, à cette époque, était à la pointe du développement physique. Dans le rugby sud-africain, la prise de muscle est impérative dès l’adolescence, pour se faire remarquer dans un système élitiste. Des actions de sensibilisation dans les lycées ont mis en évidence la prévalence de la prise de stéroïdes chez les aspirants rugbymen.
Le capitaine des Springboks François Pienaar écrivait en personne dans son autobiographie, Rainbow Warrior (« Le guerrier de l’arc-en-ciel ») : « La plupart des joueurs tendaient la main quand le médecin de l’équipe faisait circuler la boîte à pilules (de stimulants) avant les matches. » Il avait pris soin de préciser que cette situation était antérieure à 1992, lorsque la fédération sud-africaine avait mené ses premiers contrôles antidopage.
’on sait simplement que, dans la deuxième moitié des années 1990, l’Afrique du Sud bénéficiait d’une médication poussée et dominait physiquement ses adversaires. En 1997, lors d’une victoire spectaculaire sur le XV tricolore au Parc des Princes (52-10), la rumeur d’un contrôle antidopage avait poussé les médecins des Boks à présenter pas moins de 14 ordonnances justifiant la prise de produits divers, notamment des corticoïdes et de la ventoline.
« Ils sont arrivés avec leurs trucs »
Les Français ayant joué en Afrique du Sud, mais surtout les médecins de clubs ayant accueilli progressivement, dans les années 2000, des joueurs sud-africains, ont témoigné de la tranquillité avec laquelle l’on consommait, au pays double champion du monde, des produits destinés à accroître la masse musculaire.
Dans le livre-enquête du journaliste Pierre Ballester sur le dopage dans le rugby, Rugby à charges (La Martinière, 2014), le président de la commission médicale de la Fédération française, Jean-Claude Peyrin, confirmait que des discussions avaient eu lieu dans les années 2000 entre la fédération et les autorités antidopage au sujet des Sud-Africains intégrant le championnat : « On avait des informations selon lesquelles ils faisaient de la musculation en prenant des produits interdits. Ils sont formés comme des adultes à 20 ans. »
« Ils sont arrivés avec leurs trucs en France et, à partir de 2003, il y a eu un problème », relançait Bernard Dusfour, président de la commission médicale de la Ligue nationale de rugby.
Les acteurs majeurs de ce rugby sud-africain des années 1990 n’ont jamais évoqué de pratiques interdites. Le titre de 1995 doit rester immaculé.