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Les extorqueurs qui obtiennent des cryptomonnaies par des activités illégales (rançongiciels, arnaques, etc.) doivent ensuite les convertir en argent réel (monnaie fiduciaire comme l'euro ou le dollar) pour pouvoir les utiliser. C'est le processus de blanchiment d'argent, et les méthodes utilisées sont de plus en plus sophistiquées pour tenter d'échapper à la détection.
Voici les principales techniques qu'ils emploient :
Utilisation de mixeurs/tumblers (CoinJoin, etc.) :
Principe : Ces services mélangent les fonds de plusieurs utilisateurs dans une seule grande transaction, rendant très difficile le traçage de l'origine et de la destination de chaque unité de cryptomonnaie.
Pourquoi c'est efficace : Ils brisent le lien traçable entre l'adresse d'où proviennent les fonds volés et l'adresse finale où ils sont convertis.
Contre-mesures : Les autorités et les entreprises d'analyse blockchain développent des outils pour "démixer" ces transactions et retracer les flux, mais c'est un défi constant.
Passage par des "privacy coins" (Monero, Zcash, Dash) :
Principe : Certaines cryptomonnaies sont conçues avec des fonctionnalités de confidentialité avancées qui masquent les montants, les adresses d'envoi et de réception, ou les deux.
Pourquoi c'est efficace : Si les fonds volés sont initialement en Bitcoin ou Ethereum (dont les transactions sont pseudonymes mais publiques), ils peuvent être échangés contre des Monero, puis rééchangés contre une autre cryptomonnaie "traçable" ou directement de la monnaie fiduciaire, brisant ainsi la chaîne de traçabilité.
Utilisation de plateformes d'échange non régulées ou P2P (peer-to-peer) :
Plateformes non régulées : Certains échanges de cryptomonnaies ont des exigences KYC (Know Your Customer) très faibles, voire inexistantes. Les criminels peuvent y convertir leurs cryptos en monnaie fiduciaire sans vérification d'identité approfondie, puis retirer l'argent via des comptes bancaires de prête-noms ou des services de transfert d'argent.
Transactions P2P : Il s'agit de ventes directes de cryptomonnaies à d'autres particuliers, souvent via des plateformes dédiées (comme LocalBitcoins l'était par le passé, ou des groupes de messagerie cryptés). Ces transactions sont plus difficiles à suivre pour les autorités car elles se déroulent en dehors des plateformes centralisées et régulées. Elles peuvent impliquer des transferts bancaires ou même des remises en espèces.
Multiplication des transactions et des portefeuilles (layering) :
Principe : Les fonds sont fragmentés en de multiples petites transactions et envoyés à travers de nombreux portefeuilles intermédiaires (parfois des milliers), rendant le suivi extrêmement complexe pour les enquêteurs. C'est l'équivalent numérique de la méthode traditionnelle de blanchiment d'argent qui consiste à "couper" et "disperser" les fonds.
Pourquoi c'est efficace : Cela noie le signal des fonds illicites dans un volume de transactions légitimes.
Utilisation de services de "bridging" ou "cross-chain swaps" :
Principe : Les fonds peuvent être transférés d'une blockchain à une autre (par exemple, de Bitcoin à Ethereum) via des "bridges". Si ces services ne sont pas correctement régulés ou s'ils sont eux-mêmes compromis, ils peuvent être utilisés pour obscurcir l'origine des fonds.
Achat d'actifs ou de biens de valeur :
Principe : Une fois la cryptomonnaie convertie en monnaie fiduciaire (même si elle est encore "sale"), elle peut être utilisée pour acheter des biens de luxe (immobilier, voitures, œuvres d'art, bijoux) qui peuvent ensuite être revendus, intégrant ainsi l'argent dans l'économie légale.
Casinos et jeux en ligne : Les fonds peuvent être déposés sur des plateformes de jeux en ligne ou des casinos (physiques ou virtuels) qui acceptent les cryptomonnaies, joués, puis retirés comme "gains", leur donnant une apparence légitime.
Utilisation de distributeurs automatiques de Bitcoin (ATM) :
Principe : Ces distributeurs permettent d'acheter ou de vendre des cryptomonnaies contre de l'argent liquide. Certains ATMs ont des exigences KYC faibles, permettant de retirer des petites sommes d'argent anonymement.
Limites : Les montants sont souvent plafonnés, ce qui les rend moins pratiques pour de très grandes sommes.
La transparence de la blockchain vs l'ingéniosité des criminels :
Paradoxalement, la blockchain est par nature transparente : toutes les transactions sont enregistrées et publiques. C'est ce qui permet aux enquêteurs spécialisés (comme ceux de Chainalysis, Elliptic, ou d'autres firmes de "blockchain forensics") de suivre les mouvements de fonds.
Cependant, les criminels exploitent la complexité de l'écosystème crypto, la diversité des services disponibles et la rapidité des transactions pour tenter de dissimuler leurs traces. Les régulateurs et les forces de l'ordre intensifient leurs efforts pour :
Mettre en place des réglementations plus strictes (KYC/AML) pour les plateformes d'échange.
Développer des outils d'analyse blockchain plus sophistiqués.
Renforcer la coopération internationale pour suivre les flux transfrontaliers.
Le blanchiment de cryptomonnaies est un "jeu du chat et de la souris" constant entre les criminels qui cherchent l'anonymat et les autorités qui tentent de les identifier et de récupérer les fonds volés.