Et si le thruster devenait un jour obsolète ?

Le thruster, la planche la plus répandue ? Oui, loin s’en faut. La plus performante…pas ou plus tant que ça.

J’ai 10 ans en 1990. Gosse, on me trimbale de temps en temps sur les spots finistériens (il y a des surfers dans la famille), je pratique le bodyboard depuis près de deux ans, je vais à l’eau l’hiver, il y a un poster du Pipe au-dessus de mon lit, je suis presque un balaise…
De temps à autres derrière la barre (lorsqu’un gros « 50 cm » s’échoue sur les plages), parfois cantonné à me faire dorloter par les mousses au bord, et souvent assis en haut des dunes, je regarde défiler ces planches acérées avec trois cédilles au cul que les types que j’admire font glisser doctement sur la houle. Des thrusters. Il doit bien y avoir quelques longboards mais je ne les vois pas. Dans les magazines non plus d’ailleurs. Je n’ai d’yeux que pour Curren, Elkerton, Caroll, Potter, qui font jaillir des gerbes blanches des feuilles de papier glacé. Des thrusters là encore. La planche fait le surfer, je ne serais jamais aussi bon qu’eux si je n’ai pas une planche similaire, il m’en faut une, Noël exaucera mes voeux.
Les années 90 défilent, Irons , Machado, Slater, Slater, Slater…ébloui par les performances de ces types, et de leur matos, la grande majorité suit, il n’y a qu’à voir dans l’eau, la quasi-totalité de la populace adopte ce type de montage qu’un Simon Anderson inspiré inventa en 1980.
J’ai acheté le premier numéro de Surfer’s Journal à sa sortie, en 94, sans en manquer un depuis lors, et j’ai dans mon rétroviseur l’idée que des alternatives au thruster existent, mais je les associe à un « autre style » de glisse, loin de la quête de performance qui m’habite en ces temps adolescents. Dans les années 2000, le shortboard « de base » continue à prédominer largement sur les spots, rails pincés, lifts véloces, et toujours ces trois ailerons (devenus amovibles depuis quelques années) annonciateurs de « drive » et de courbes engagées. Parallèlement, la presse se fait écho de quelques farfelus qui déterrent des shapes oubliés, qu’ils surfent à la sauce moderne, rabotant par ci et par là, proposant de nouveaux agencements d’ailerons (ou remettant les anciens au goût du jour). Ces types sont passionnés, ont du niveau, et internet se charge de proposer son lot de vidéos. Le résultat est bluffant. Fish, twin, bonzer, quad, planches asymétriques, finless, single, dans la spirale de l’émergence de nouveaux matériaux, on ne sait plus où donner de la tête.
D’ailleurs à l’eau je remarque que même certains « bons surfers » qui ne décollaient pas de leur « 6’0*19 1/2*2 et des brouettes » s’essaient à de nouveaux engins.
En 2010, histoire de tenir ma promesse au môme que j’étais, je me mets gentiment à shaper ma première planche. Le résultat, la réplique d’un single avec stabilisateur shapée par Terry Fitzgerald dans les années 70, et baptisée « Drifta 8 » par ce dernier. Mr Fitzgerald considéra, après avoir shapé plus de 3000 modèles, qu’elle était pour lui l’une de trois planches les plus abouties de sa vie de shaper. Deux numéros de Surfer’s Journal y consacrent quelques passages, et pour reprendre les paroles de Joel Tudor qui eut la chance de se la glisser sous les pieds, « pourquoi avons-nous arrêté de surfer ces machins-là ? »


J’ai surfé un fishcuit de Merrick pendant 7 ans, je l’ai trimbalé partout, et bien que parfois j’aurais préféré avoir un thruster sous les pieds, j’ai trouvé la planche bien plus performante que mes anciennes galettes dans nombre de conditions. Ayant eu récemment envie de faire évoluer cette planche que je connais sur le bout des doigts, j’y ai creusé de profonds channels, découpé une des plumes de la queue afin de la rendre asymétrique, et la surfe aujourd’hui en finless. Voilà ce que ça donne:

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Évidement elle ne sort que quand les vagues s’y prêtent, sur des points break essentiellement, mais une fois au « planning » la sensation de vitesse est vertigineuse. Merci l’absence de traînée. Pour le reste, je prends quand même un paquet de boîtes, il y a encore du boulot ! Au demeurant, il suffit de jeter un œil à la glisse de Derek Hynd ou de Ryan Burch pour se rendre compte des possibilités de l’engin.

 


La semaine dernière je suis allé surfer à Lostmarc’h. 1 m propre, assez poussif, vent side-off. Ça caillait. On était une dizaine dans l’eau. Au pic, deux longboards, un SUP, trois thrusters, 1 fish moderne (quattro il m’a semblé), 1 retro fish, 1 type en body, moi avec mon biscuit 5’3, et un type avec un egg 5’O en single qui surpassait tout le monde à l’eau. Impossible à imaginer il y a dix ou quinze ans.
Loin de moi l’idée de venir pointer l’inefficacité des thrusters. Ce sont des planches bien évidemment maniables qui permettent de se confronter à nombre de conditions différentes, avec la même planche, mais proposant des modèles de glisse relativement standards. Un regard sur les compétitions WQS et autres suffit à mesurer la redondance des figures, des carves, etc. Bien entendu certains types ont leur style à eux, proposent quelques nouveaux tricks, mais dans l’ensemble, ça tourne un peu en rond.
Deux principales raisons à cela. La première est que les planches ridées qui semblent être clonées, la seconde, consiste au fait que les critères de notations qui imposent aux surfers de rentrer dans un certain moule pour escompter engendrer de précieux points.
Derek Hynd, illustre surfer/juge/shaper, faisait remarquer, à juste titre il me semble, que lorsque Kelly Slater  perdit son titre de champion du monde (2010), cela correspondait au fait qu’il parcourait cette année-là le tour avec des planches « non conventionnelles ».  » Les juges ne savaient pas comment le noter » affirme-t-il. Aujourd’hui tout cela s’assouplit, doucement, quattro et « five fins » font de timides apparitions, les shapes quant à eux…
Bref. Tout ça pour dire que la performance d’une planche est sans doute à mesurer au regard du type de vagues abordées, que la richesse de la glisse convoque l’idée de l’ouverture, de l’imagination et de la persévérance. En espérant vous avoir donné envie de toucher à un rabot, à bidouiller avec la résine et à vous autoriser à imaginer de nouvelles perspectives…bon surf.

Tom Pouch

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