Donc Projet GLØR
Premier retour critique
Le chaos queer du rap français n’a jamais été aussi lucide »
Par Lou-Anne Bellot, journaliste indépendante / contributrice pour Tsugi & Libération
Dans le fracas continu d’un rap français trop souvent noyé sous l’autotune ou englué dans la posture, il arrive qu’un cri remonte du sous-sol. Un cri brut, sale, désaxé. Celui de GLØR, tout droit sorti d’un no man's land périurbain autour de Béziers, une terre rarement citée dans les cartographies du hip-hop français. Et pourtant, il faudrait bien commencer à y prêter attention.
Car ce que cet artiste propose n’est pas simplement une variation de plus sur le thème du rap hardcore. C’est une déconstruction. Un démembrement du format. Un retour du chaos — mais un chaos pensé, questionné, et, paradoxalement, d’une conscience aigüe.
Son premier projet (encore diffusé en circuit obscur, via des leak Soundcloud ou des extraits visuels cryptiques sur Insta) frappe d’abord par la violence de son phrasé. Flow haché, syncopé, refusant tout groove linéaire. Mais c’est dans le contenu que l’on comprend la vraie transgression : GLØR parle du malaise queer sans le lyriser. Il dit la bisexualité sans fard, sans revendication militante, mais comme une part indissociable de son errance, de son désœuvrement, de son rejet.
Là où d’autres ont fait du coming out un storytelling pop, lui l’intègre dans une esthétique de la ruine et de l’abandon. Il ne performe pas le genre. Il le brouille. Il l’abîme. Et, ce faisant, il relie son identité à une critique plus large — celle d’un système saturé de faux-semblants, où l’artiste n’est plus qu’un produit à consommer.
Masqué — non pour cacher, mais pour déranger — il évoque un monde où la chair devient interface, et où l’humain est déjà trop tard. Son masque organique, entre sculpture numérique et relique post-apocalyptique, en dit long sur la porosité qu’il incarne : entre le corps et la machine, entre le sexe et le genre, entre la rage et la lucidité.
Ce n’est peut-être pas du rap à proprement parler. C’est une forme en mutation.
Un monolithe d’avant-garde.
Un retour du rap conscient, mais dans sa version la plus brute, la plus sale, la plus vivante.
Premier EP "Bitume binaire" extrait de l'album à venir AUTOPSIE D’UN ÉTÉ