Mais sa vie va basculer. En 1978, une grande manœuvre commence. Au PS, la bataille fait rage entre les courants rocardien et mitterrandiste. Qui sera candidat à la présidentielle de 1981 ? L’Essonne est « tenue » par le maire de Massy, Claude Germon, mitterrandiste, qui va chercher au fond du Jura l’homme du « bon pain ». Il ne le connaît pas, nul ne connaît Mélenchon, mais Germon, qui ne s’expliquera jamais sérieusement, propose à un jeune homme sans la moindre expérience de devenir son directeur de cabinet. C’est incompréhensible.
Sauf si Mélenchon est en fait un sous-marin de l’OCI, comme ces centaines de militants lambertistes envoyés faire de l’« entrisme » au PS. Jospin, on le sait, est devenu premier secrétaire du PS en 1981, alors qu’il était un agent de l’OCI, sa véritable organisation. Et Jospin l’a pourtant nié pendant des années, prétendant qu’on le confondait avec… son frère.
Germon était-il au courant ? Il est fortement soupçonné d’avoir été lambertiste, lui aussi. Il dira de Lambert : « C’était un personnage intéressant, avec qui j’aimais discuter régulièrement. » Un soir que Lambert est venu le voir, peu de temps après l’arrivée de Mélenchon à Massy, Germon lâche à ce dernier : « Tu n’as qu’à rester. Participe à notre discussion. Ça va t’intéresser1. » Mélenchon fait venir une bande lambertiste de Besançon, et va mettre en coupe réglée l’Essonne, utilisant, et c’est lui qui le dit, « les moyens les plus déloyaux possibles ». On n’en sait toujours pas le détail.
Quand a-t-il rompu avec l’OCI ? A-t-il vraiment rompu ? L’histoire le dira peut-être. Le fait est que, dès 2017, le POI-OCI soutient Mélenchon dans toutes ses entreprises. Peu à peu, et sur la seule décision de Mélenchon, le mouvement lambertiste devient l’un des soubassements de LFI. Au moins une vingtaine de rencontres et séminaires, de réunions, de conférences de presse du mouvement se sont tenus au 87, rue du Faubourg-Saint-Denis, au siège parisien, historique, des lambertistes. Le 23 janvier 2022, il y déclare, la larme à l’œil : « Il y a pour moi une sorte d’humour de situation […] J’étais, il y a un nombre d’années sur lequel il n’est pas besoin de revenir, assis au fond de cette salle, dans l’organisation à laquelle j’appartenais à l’époque [l’OCI]. » Le 5 juillet 2022, Mélenchon y congratule ainsi devant le gratin du POI le député fraîchement élu Legavre : « Je remercie le POI qui termine sa mutation de banalisation – il cesse d’être considéré comme une organisation secrète, mystérieuse -, pour avoir prêté cette salle si gentiment. »
Un simple prêt de salle ? Mélenchon a de l’humour bien dissimulé. En décembre 2022, il écarte ses opposants internes, Clémentine Autain et François Ruffin en tête, de la direction de LFI. Le 26 mars 2023, Mélenchon est à nouveau au 87, comme les initiés appellent ce vaste local, pour une assemblée du POI. Pas de LFI, du POI. Et Legavre prend la parole : « Depuis 2017, je me suis engagé dans les campagnes de La France insoumise. D’abord dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon, que je vous demande de saluer, car il est dans la salle, et on le remercie de sa présence. »
À la mi-mai, 370 membres et cadres de LFI au départ signent un appel qui constate « l’absence totale de démocratie » entre les « décideurs » et les « militants de terrain », dénonçant « la nomination des porte-parole sans consultation des militants ». Lèse-majesté. Interrogé par Le Monde, un élu LFI lâche : « LFI, c’est la propriété privée de Jean-Luc. Il a l’argent, et choisit la couleur des volets. Le concierge, c’est Manu [Bompard]. »
Sur le terrain, le POI, devenu la garde prétorienne du chef, surveille les mauvais esprits. Dans la Vienne, autour de Poitiers, les lambertistes fichent 15 militants qui ont eu l’heur de signer une tribune déplaisant à Mélenchon. Avec « prénoms, noms, antécédents politiques, affiliations syndicales, activité sur les réseaux sociaux, liens familiaux, photos… », comme le révèle Mediapart. Partout, les gens du POI noyautent les structures départementales de LFI, décourageant peu à peu d’autres militants. C’est vrai en Seine-Saint-Denis, dans les Pyrénées-Atlantiques, dans l’Ouest, à Lille, à Paris. Beaucoup des opposants soupçonnent Mélenchon de vouloir se créer un microparti à sa botte, qui contrôlerait définitivement LFI avec un lot d’idiots utiles, capables d’avaler toutes les couleuvres. LFI, présentée par Mélenchon comme un mouvement « gazeux », est confrontée à une organisation dure comme la pierre."